Travaux de la relève!
Le tampon et le tartan, par Éric Audet

Image: Éric Audet
Tous les jours, dans le monde, 800 millions de femmes ont leurs menstruations. Le tiers d’entre elles ne dispose pas des ressources minimales pour les vivre convenablement. Ce n’est plus le cas des Écossaises, qui ont aujourd’hui accès gratuitement à différents types de protections hygiéniques en tout respect de leur intimité, sans avoir à demander ni à justifier leur besoin.
En août 2022, l’Écosse devenait le premier et le seul pays à offrir gratuitement les produits d’hygiène féminine à l’ensemble de ses citoyennes[1] afin d’attaquer de front le problème de santé publique que représente la précarité menstruelle.
Le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF) définit essentiellement la précarité menstruelle[2] comme la difficulté d’accès aux produits menstruels faute de moyens financiers. Elle comporte également des dimensions de disponibilité, d’éducation et de perceptions culturelles face aux menstruations.
En plus de viser l’amélioration de l’état de santé de la population, le Period Products Act répond explicitement à plusieurs aspirations des mouvements sociaux: Promotion de l’égalité des genres; lutte à la pauvreté; encouragement à la production de d’articles menstruels réutilisables et durables; éducation et lutte contre le stigmate menstruel. Par son adoption, le gouvernement écossais manifeste le désir de s’allier aux militantes et aux acteurs sur le terrain d’une part, et d’exercer une influence au niveau mondial d’autre part.
Si cette loi est trop récente pour en évaluer précisément les impacts, il n’est pas périlleux de supposer que la contrainte économique, un des principaux facteurs de la précarité menstruelle, soit en théorie éliminée.
Le Québec devrait-il s’inspirer du Period Products Act pour assurer une telle gratuité des produits menstruels aux Québécoises?
Le besoin le justifie certainement. Selon un sondage mené en 2020 par le Conseil du statut de la femme[3], 12% des femmes ont déclaré avoir « déjà eu, à plusieurs reprises, à faire le choix difficile entre acheter un produit d’hygiène féminine et un article essentiel de leur liste d’épicerie ». Dans un sondage pancanadien réalisé en 2019 par Plan International Canada[4], 34% des Québécoises ont déclaré devoir sacrifier d’autres dépenses comme le loyer, la nourriture, les loisirs ou les vêtements pour pouvoir se procurer des produits menstruels. De plus, une Québécoise sur 5[5] recourt à d’autres moyens pour gérer ses menstruations, courant le risque d’irritations et d’infections pouvant mener au syndrome du choc toxique[6].
Un des facteurs de réussite du Period Products Act serait l’acceptabilité sociale, plus précisément, la perception culturelle des produits menstruels comme une nécessité hygiénique universelle. Au Québec, toujours selon le sondage de Plan International Canada[7], l’idée de distribuer gratuitement des produits dans différents endroits est populaire. Les taux d’accord sont par exemple de 75% dans les lieux publics, 78% au travail et 92% à l’école. Les nombreuses initiatives de distribution gratuite portées par une diversité d’acteurs telles des villes, des entreprises, les associations étudiantes et des organismes communautaires et sans but lucratif témoignent également d’une grande acceptabilité sociale.
Le Period Products Act s’inscrit dans une stratégie de renforcement de l’identité nationale permettant à l’Écosse de se positionner comme modèle progressiste sur la scène mondiale et de marquer son indépendance symbolique vis-à-vis de l’Angleterre. L’Écosse et le Québec partagent une forte identité nationale distincte et les deux disposent de l’autonomie législative leur permettant de répondre aux besoins de leur population en santé et en éducation.
Finalement, l’engagement de membres du parlement écossais à promouvoir une telle loi a également été décisive dans son adoption, démontrant l’importance d’un leadership politique pour le succès d’une telle démarche. Si, au Québec, les produits d’hygiène féminine ne sont plus taxés depuis 2015 (TPS) et 2016 (TVQ), un seul parti politique porte la revendication de la gratuité au parlement provincial. Actuellement, c’est plutôt la gratuité des moyens de contraception qui se discute à l’assemble nationale du Québec, dans la foulée du dépôt, le 26 novembre 2024, d’une pétition de 96 000 noms, la plus importante présentée au parlement à ce jour[8]. La Ministre responsable de la condition féminine dit étudier cette option. La discussion autour d’un tel projet de loi permettra-t-elle d’ouvrir le débat sur la précarité menstruelle et la gratuité des produits d’hygiène féminine?
[1] Agence France-Presse. (2022, 13 août). Écosse: Les produits menstruels seront disponibles gratuitement dès lundi. La Presse, Europe. https://www.lapresse.ca/international/europe/2022-08-13/ecosse/les-produits-menstruels-seront-disponibles-gratuitement-des-lundi.php
[2] Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. (2020, 11 février). STOP à la précarité menstruelle. Campagne Rouge #LaVieEnRouge. https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/precarite-menstruelle/stop-a-la-precarite-menstruelle/
[3] Conseil du statut de la femme. (2021, septembre). Faciliter l’accès aux produits menstruels : mesures possibles. Bibliothèque et Archives nationales du Québec. https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/produits-menstruels.pdf
[4] Plan International Canada et Nanos Research. (2019, mai). Female and male views on menstruation in Canada. https://nanos.co/wp-content/uploads/2019/05/2019-1432-Plan-Female-and-Male-Compiled-with-Tabs.pdf
[5] Fontaine, E. et Doudenkova, V. (2021). Portrait du vécu des menstruations au Québec. Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/wp-content/uploads/2021/10/Enquete-Mestruations_FINAL.pdf 2021.
[6] Réseau québécois d’action pour la santé des femmes. (2020, 11 février). STOP à la précarité menstruelle. Campagne Rouge #LaVieEnRouge. https://rqasf.qc.ca/campagnerouge/precarite-menstruelle/stop-a-la-precarite-menstruelle/
[7] Plan International Canada et Nanos Research. (2019, mai). Female and male views on menstruation in Canada. https://nanos.co/wp-content/uploads/2019/05/2019-1432-Plan-Female-and-Male-Compiled-with-Tabs.pdf
[8] Radio-Canada. (2023, 5 février). Pétition pour la contraception gratuite : Québec solidaire recueille des milliers de signatures. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2122425/petition-contraception-gratuite-quebec-solidaire